Au XVIIIème siècle, un honnête homme possédait deux costumes, une chemise blanche et quelques faux-cols qu’il faisait fabriquer chez le tailleur de son quartier. Les femmes avaient droit à une toilette à peine plus importante. Après-guerre, la production industrielle des biens de consommation et la révolution du Prêt-à-Porter vont bouleverser nos habitudes de consommation et raccourcir considérablement la durée de vie des vêtements dans nos penderies. C’est le début de la société de consommation, les vêtements se démodent vite et sont aussitôt jetés. L’Abbé Pierre et ses compagnons trouveront dans nos poubelles de quoi habiller les plus démunis, et commercialiseront le reste dans des réseaux dédiés.
Des sociétés à but lucratif professionnaliseront la démarche en s’adressant aux marques qui veulent se débarrasser de leurs stocks sans nuire à leurs réseaux de distribution ni à leur image. Ces soldeurs existent dans de nombreux métiers où la dépréciation des stocks est rapide du fait des phénomènes de mode ou de technologies rapidement obsolètes, comme c’est le cas par exemple dans la téléphonie.
Dans les années 80, époque Créateurs, les marques se construisent autour de la création qu’il faut préserver comme une œuvre d’art, et d’un prix qu’il faut garantir à ses clients. Dans cette logique, le Créateur minimaliste branché Yohji Yamamoto brûle devant huissier les pièces invendues de ses Collections. Mais ce sera un épisode de courte durée.
Face aux crises successives, les soldeurs et leurs réseaux de distribution parallèles deviennent une nécessité pour les marques petites ou grandes qui doivent écouler leurs invendus. Jacques-Antoine Granjon aura l’idée de les commercialiser loin de France, sur un continent alors inconnu des marques, le Net, il fonde vente-privéee.com. Sur le modèle des concepts stores, il met en ligne au début des années 2.0 toutes sortes de biens de consommations plutôt élitistes et organise sur son site des ventes évènementielles limitées dans le temps avec des produits de grandes marques proposés avec une décote qui peut aller jusqu’à soixante dix pour cent.
Les commerciaux des marques de Luxe qui se méfient de ce nouveau média jugé bas de gamme préfèrent regarder ailleurs, comme elles l’ont toujours fait avec les soldeurs, et ne s’engageront dans le e-commerce que quelques années plus tard.
Comme les concept stores, Jacques-Antoine s’adresse à une communauté de clients sélectionnés qui se parrainent entre eux, sauf qu’ils sont plusieurs millions à le suivre et vivent dans les pays riches d’Europe et aux Etats Unis.
Son succès a amené les marques à suivre son modèle de distribution sur le net pour leurs collections en cours mais également à produire des collections destinées à leurs ventes privées.
De telles ventes événementielles existaient dans la vie réelle depuis vingt ans mais elles n’étaient organisées que deux fois par an, en fin de saison, et réservées aux journalistes et à quelques happy few qui pouvaient acheter les échantillons commerciaux et presse dans les showrooms des marques ou dans leurs entrepôts.
Représentants de la génération charnière, Jacques-Antoine Granjon, Xavier Niel fondateur de Free le fournisseur d’accès à internet qui casse les prix et les pieds de ses concurrents et Marc Simoncini fondateur de Meetic, site de rencontre à haut débit, sont aujourd’hui les patrons de la nouvelle économie française qui repose sur la technologie et la consommation instantanée à un prix abordable.
A la faveur des crises économiques et financières à répétitions depuis trente ans, ils ont su inventer de nouveaux modes de consommation soucieux de petites économies, recyclées en principes écologiques et en commerce plus équitable.
Plus discret que le magasin de dépôt vente de nos parents dont on entrait et sortait avec le même embarras que d’un sex shop,
le géant communautaire eBay permet à chacun de se débarrasser de ses vieilleries ou cadeaux de mariage en toute discrétion et de récupérer un peu d’argent.
Ce nouveau mode de consommation est devenu une tendance lourde grâce à la technologie utilisée, à la crise avec la caution de la presse mode qui promeut le phénomène. Au lieu de jeter leurs vêtements achetés chez Zara ou chez Yves Saint Laurent les femmes, les lycéens et maintenant les hommes organisent chez eux des ventes privées de leurs anciens vêtements sur le modèle des ventes de garage aux USA. Ils donnent de la visibilité à leurs ventes conviviales en envoyant mails et SMS à leurs amis ainsi qu’en créant des événements virtuels principalement sur Facebook.
Grâce à leurs réseaux de followers et à leurs garde-robes sans cesse réapprovisionnées par les marques en échange de visibilité, les bloggeuses sont devenues les grandes organisatrices de ces ventes.
Quand elles ne les échangent pas tout simplement avec leurs copines, réinventant l’économie primaire du troc émancipée du lien social de l’argent, c’est gagnant-gagnant.
Fédérant ce nouveau mode de vente de vêtement de seconde-main en ligne vestiairedecopines.com, devenu vestiairecollectif.com pour des raisons de développement
international, a structuré le modèle friendly du e-commerce en favorisant et en garantissant le deal entre particuliers : visibilité de l’offre grâce à son fichier de sept cent mille membres, acheminement des pièces après vérification de la qualité du produit, le tout contre une commission inférieure à la marge que prennent les professionnels du détail.
Du coup, les dépôts vente et les magasins de seconde main se trouvent parés d’une vertu nouvelle et fleurissent dans les domaines de la mode, mais également de la décoration et des produits technologiques.
Quand ils ne sont pas échangés ou vendus, les vêtements et accessoires de nos placards connaissent aussi une seconde jeunesse : ils deviennent vintage en passant des grands-parents aux petits-enfants, mais également par un abus de langage bienveillant quand ils s’échangent entre copines de chez H&M. Coupés, les jeans revivent et deviennent des shorts.
Sentimentales et économes, les jeunes femmes empruntent les vêtements de leurs amis qu’elles nomment Boyfriend pants, Boyfriend shirts ou encore Boyfriend jackets. Chez les hommes, le sur-mesure et la demi-mesure même made in Asie reviennent à la mode et il est devenu un must de refaire le col et les poignets de ses chemises.
Aujourd’hui les vêtements des bêtes de mode ont sept vies et leurs porte-monnaies retombent sur leurs pattes.