LAURE /  Infantile, narcissique, péremptoire, inquiète, vénale, chieuse Laure a tous les défauts que les hommes prêtent aux femmes, y compris celui d’être belle. Au quotidien je lui déclare mon amour sur Facebook avec une moyenne de quarante signes (°)(°) et caractères par statut. En un peu plus de quatre ans, mes 4.900 amis nous ont accompagné dans nos voyages en Corse, en Grèce, en Afrique, dans le XXème arrondissement de Paris, à Rolland Garros,  à un dîner avec les Obama le soir de leur première investiture. Mes amis ont pris le parti de Laure quand elle s’est  fâchée avec les Sarkozy-Bruni, ne me demandez pas la raison de cette fâcherie. Je ne m’en souviens plus. Par amour pour Laure j’ai soutenu l’abolition de la peine de mort dans le monde,  la fermeture de mines à ciel ouvert dans des contrées dont je n’avais jamais entendu parler, j’ai pourchassé des dictateurs qui n’existent que dans son imaginaire de bobo. Pour la faire rire j’ai même affiché des lolcats sur mon wall  :/  Avec elle j’ai passé des nuits éveillées à l’hôtel Amour ♥, affiché cent fois l’état de notre relation “marié-célibataire-it’s complicated”. Cent fois elle a annulé des déjeuners que nous n’avions pas prévu “nous sommes mariés pour le meilleur et pour le pire, mais pas pour déjeuner”, mille fois elle m’a rejeté mais toujours repris.  Elle est morte deux fois, la première vers six heures du matin sous acide, renversée par une Porsche Cayenne en traversant la promenade des Anglais pendant le Festival du film de Cannes, la deuxième fois ? Probablement parce que je m’ennuyais.

    Je la raconte tous les jours, souvent plusieurs fois par jour. Mes amis sur Facebook l’adorent ou la détestent, mais rares sont les indifférents à notre passion. Un statut sur Laure peut générer jusqu’à cinquante likes et quarante commentaires. Du fait de la viralité du réseau social et du nombre de mes amis ce sont six à douze mille personnes, amis et amis d’amies, qui lisent

quotidiennement mes déclarations mais aussi l’ensemble de mes statuts qu’ils soient d’ordre passionnel ou professionnel. Sans compter la centaine de messages en MP provenant principalement de femmes  Impliquées : “Est-ce que Laure existe vraiment ?” Envieuses: “J’aimerai bien que mon mec m’écrive des lettres d’amour”, “elle a vraiment de la chance”. Consternées : “tu as l’air de souffrir”. Révoltées : “tu la maltraites !!!”. Bonnes copines : “largue-la cette conne, tu vois bien qu’elle n’est pas pour toi». Nous avons même reçu des invitations à dîner, ou des cartes postales à mon Agence.

    Née d’un poke et d’un message en MP Laure est l’histoire d’une relation épistolaire version 2.0. “Les souffrances du jeune Werther” revues par Mark Zuckerberg. Sur Facebook, je suis Pétrarque, le chaste amant de Laure. Les statuts que je lui adresse ont créé une relation affective très forte entre moi et mes amis sur Facebook. Impudiques, passionnées, quotidiennes, totalement dévouées à mon amoureuse, mes déclarations ont donné de l’épaisseur à mon existence numérique. Elles accroissent considérablement ma visibilité sur le réseau social mais aussi dans la vie réelle. L’amour est, avec la haine, le sentiment qui rencontre l’écho le plus large sur le net. Des personnes que je ne connais pas, des femmes pour la plupart, m’arrêtent tous les jours dans la rue pour me dire que j’ai de la chance de l’aimer autant. Elles me demandent de ses nouvelles, si je vais la rejoindre, depuis quand je la connais, si elle existe.

    Je réponds que Laure est mon amoureuse. Qu’elle était là, qu’elle n’est pas loin.

    Sur Facebook il n’est pas important de protéger ses données, elles sont accessibles par mille autres moyens. Il ne s’agit pas de les protéger comme si c’était un secret, un secret c’est toujours contre quelqu’un, mais de préserver son intimité.

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