La mode est un révélateur du monde et de ses mutations. Elle accompagne et souvent précède les évolutions de la société. Les sans-culottes de la Révolution de 1789, le jean de la ruée vers l’or, les soutiens-gorge de mai 68 jetés aux orties, les tchadors et burqas de la révolution Islamiste … les capteurs de l’industrie de la mode habillent et déshabillent l’histoire.

    50’s A une époque où le prêt-à-porter n’existait pas encore, le couturier était un simple fournisseur.

Ce n’est qu’au début du siècle dernier, en France, quand les premiers mannequins s’appelaient des sosies, qu’apparaissent les Maisons de Couture avec à leur tête des Couturiers, majoritairement des hommes, et Coco Chanel. Avec Christian Dior s’impose le statut de Couturier star, il accède au rang d’artiste visionnaire. Il incarne le début de son siècle et pose les bases d’une industrie de la mode.

    Propriétaire à ses débuts d’une galerie d’art qui présente les jeunes artistes plasticiens de son époque  - Giacometti, Picasso, Dali - ce late borner crée à 41 ans sa Maison de Couture et sera l’inventeur du business model de l’industrie du Luxe. Timide et autoritaire, il s’associe dès ses débuts à l’industriel Marcel Boussac qui a besoin de promouvoir ses usines textiles.

Il lance immédiatement, sans étude de marché, son parfum Miss Dior, qui demeure un succès planétaire. Il s’entoure, à l’écran, d’actrices, dont Marlène Dietrich qui l’impose dans tous ses films. Elles seront les ambassadrices du new look et de la Maison Christian Dior à Hollywood. Aux premiers temps de la cause féminine, il bénéficie à la ville de réseaux de femmes d’influence heureuses de se battre pour la cause des femmes aux côtés de celui qui - de 1947 à 1957- a changé la face de la mode.

    Le scandale que déclenchent les collections Christian Dior accentue sa notoriété. Il  aura contre lui la bourgeoisie bien-pensante choquée par l’abondance radieuse et géométrique de la femme Dior : elle  combattra violement le Couturier de l’avenue Montaigne, parfois physiquement. Continuant le travail de Cristóbal Balenciaga, Coco Chanel et Paul Poiret, Christian Dior a contribué à changer la face du monde en habillant la femme de l’après-guerre, toujours plus libre. Au même moment, la Haute Couture élitiste et ancienne se retrouve opposée au Prêt-à-Porter démocratique qui naît en Amérique. Issu de la musique Afro-Américaine le Rock naîtra dans les années 40  en même temps que Disneyland et McDonald, au même moment que la société de consommation. Sous toutes ses formes il accompagnera la mode des décennies à venir.

    60’s Au début des années 60 éclot la société de consommation, le prêt-à-porter, les bureaux de style et le métier de Styliste. Anonyme, ce travailleur à la chaîne dessine pour une nouvelle industrie qui doit répondre à une demande très importante soutenue par la presse féminine. Dans cette période d’abondance, il y a de la place pour tout le monde ; la marque n’est pas encore une nécessité. Apparaissent une multiplicité de maisons de prêt-à-porter, petites ou grandes, à l’identité aussi mal définie que la sexualité des jeunes filles en fleurs de Sarah Moon chez Cacharel. Les propriétaires de ces marques préfèrent ne pas mettre leur nom sur leurs enseignes : cela leur paraît plus “moderne” que d’afficher leur nom comme le faisaient les Couturiers, et certains d’entre eux aux noms à résonnance étrangère ne jugent pas pertinent d’indiquer leur patronyme. Citons parmi eux Zyga Pianko, fondateur de la marque de prêt-à-porter Pierre d’Alby.

    Il embauchera de très nombreux Stylistes des années 60 et 70 comme Daniel Hechter et Sonia Rykiel mais aussi Agnès B. et Emmanuelle Khanh. C’est l’âge d’or du prêt-à-porter en Europe, la grande époque du Sentier à Paris où la production à marche forcée prime sur la création et la stratégie de marque. C’est également le début de la période hippie de la mode. Sous ses aspects folkloriques : quartz, drogue douce, vie en communauté et des slogans issus de cette “contre-culture” comme small is beautiful ; elle contribuera à populariser les avancées de la physique quantique.

    A la même époque, dans le sillage de Christian Dior, ses jeunes assistants créent leurs maisons de prêt-à-porter à leur nom. Ils s’appellent Yves Saint Laurent, Pierre Cardin, André Courrèges. Même s’ils continuent une activité de Couture, ils prennent eux aussi le titre de Styliste, plus moderne, donnent au Prêt-à-Porter ses lettres de noblesse et le font descendre dans la rue. La Couture devient has been.

 

    70’s Héritières de mai 68, les années 70 marquent l’apogée de 30 années d’abondance d’après-guerre. Même si la marche sera encore longue, les femmes ont, de façon irréversible, pris pied dans la société civile. Le vent de liberté et de prospérité qui souffle sur l’époque se matérialise par l’audace des collections et les couleurs omniprésentes. Les familles de  styles différents se côtoient sans trop se mélanger : punk, hippies, disco, BCBG. Avec l’expérience des Must de Cartier du précurseur Alain Dominique Perrin cette époque est annonciatrice, 40 ans plus tard, de l’aire du Bling et du Luxe accessible.

    Les Maisons de Couture ferment progressivement leurs portes pour être remplacées par les boutiques du prêt-à-porter dont les stylistes, propriétaires de leurs marques éponymes ne tarderont

pas à accéder au rang de Créateurs.

    80’s Depuis les années 70, la France vit une financiarisation de son économie qui stimule la consommation au détriment de son activité économique et de la dette. Cet air aujourd’hui connu de tous se traduit par la fermeture des usines, l’exportation des emplois vers l’Asie, et des crises financières en cascade qui se répètent à un rythme rapproché. La décennie 80 connaîtra une multitude de styles, les plus divers, comme les crises en V, W, / et // qu’elle traverse. Au début des années 80, le monde vit dans une bulle que l’on qualifie de financière. Ses piliers sont l’argent, la fête, une certaine oisiveté soutenue par l’ANPE qui vient de naître, la démocratisation de la consommation de la drogue jusque-là réservée à une certaine élite, l’apparition des premiers cas de SIDA et une bonne dose de cynisme. Ses aficionados se nomment les branchés, les mal informés les nomment les câblés. Ils se réunissent dans les temples du moment : le Studio 54 à New York, le Palace, le Sept et les Bains Douches à Paris.

    L’Amérique libérale et la bourse de New York ont le vent en poupe. Les lofts, le mobilier industriel et les stores à lamelles aussi. Dans cette période spéculative l’argent-roi met le monde de la création en état d’effervescence, la mode vit une époque

paroxysmique  incarnée par une nouvelle caste de stylistes à l’inspiration débordante et à l’égo surdimensionné, en mal de statut. Ils veulent être les Couturiers de l’industrie du prêt-à-porter et s’auto-proclament Créateurs. Ces dieux des podiums réinventent les défilés de mode pour en faire des shows où ils se mettent en scène, ils y introduisent la musique et les éclairages des boîtes de nuit dont ils sont les hôtes privilégiés. Leurs mannequins deviennent les nouvelles stars planétaires.

    Thierry Mugler, Claude Montana, Azzedine Alaïa, Kenzo Takada, Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier sont, dans des registres différents, ses plus talentueux interprètes. Les coups d’éclats et la provocation font également partie de leur mode d’expression. Le malicieux Jean Paul Gaultier envoie des dindes dans les rédactions des principaux magazines de mode. Ils font de leurs défilés de mode des événements mondialement attendus qui deviennent, avec le développement de l’aviation civile, des moments de grandes migrations. La nouvelle jet set se retrouve au premier rang de leurs défilés : les rockstars dont les girlfriends défilent sur les catwalks, les hommes politiques en avance sur leur époque, les rédactrices de mode qui font et défont les réputations en même temps qu’elles travaillent à la leur, les attachés de presse vibrionnant, influents pour certains, les acheteurs européens qui font fonctionner cette petite industrie plus tournée vers elle-même que vers le succès financier, les conglomérats Japonais et Coréens qui sont leur principale source de revenus. Et tous ceux qui se poussent du coude pour en être. Le film Wall Street (1987) de Oliver Stone est une peinture

assez fidèle de cette époque. En France, Bernard Tapie, l’homme d’affaire médiatico-bling qui rêvait d’être un artiste, est l’égérie de cette décennie. C’est l’époque du rachat d’entreprises au bord de la liquidation pour un franc symbolique et de leur revente à la découpe. Avec une grosse plus-value pour les investisseurs et  le chômage pour ses salariés. C’est la fin du tissu industriel Français.

    En 87, à la fin de cette époque folle d’argent à tout prix, apparait un jeu de société qui transcende cet état proche de la névrose “l’Avion” où six personnes à la base d’une pyramide virtuelle payent pour que celle du haut touche le pactole et leur laisse la place. Les enveloppes de billets circulaient dans Paris par coursiers. Les derniers seront les premiers à se retrouver sur le carreau.

    Bien qu’annoncée de longue date, la crise du 19 octobre 1987, dite du Black Monday, touche de plein fouet le monde et particulièrement le Japon qui cesse du jour au lendemain de subventionner les jeunes Créateurs. Elle annonce la crise financière de 2009. A cette période de peur du lendemain les branchés tournent le dos aux excès et au cynisme de la décennie

pour redécouvrir les vraies valeurs, si chères aux saucisses Herta et  aux rillettes Bordeaux-Chesnel.

    Cette rupture de comportement est annoncée par le film Bagdad Café (réalisé par l’Allemand Percy Adlon en novembre 1987) qui annonce la fin des branchés et le retour aux valeurs de travail et de famille.

    Exit le modèle du tycoon des grandes capitales industrielles et financières anglo-saxonnes. Il est remplacé par la vie exemplaire et authentique des premiers pionniers dans les grandes plaines hostiles de l’Ouest Américain. Un petit monde fait d’efforts et d’union autour de joies simples dans le chariot familial. Le retour aux roots Américaines devient l’idéal collectif d’une vie réussie, à Paris comme à Nantes ou à Marseille. Le passé et le foyer deviennent les bases de repli. C’est le retour en force de l’Ouest Américain, de l’ancienne “nouvelle frontière”. C’est l’arrivée massive dans nos boutiques des couvertures des Native Americans, du mobilier tex-mex de nos valeureux pionniers. On se pâme devant le linge de maison brodé main par les Mormons, Amish et Quakers. On se pare de leurs blouses pudiques. On ne jure plus que par les iconiques meubles de nos anciens, en bois patinés ou en cuir naturellement vieilli - Rocking chair, Chesterfield, miroir de nos grands-mères, grands oreillers confortables, footstools encombrants, la bonne odeur de l’encaustique vient habiter nos foyers apeurés.

    Le Brunch s’invite à la maison, il permet de se retrouver le

dimanche entre amis autour d’un repas tardif qui a l’avantage de réunir d’un coût petit-déjeuner, déjeuner et goûter pour les enfants. En cette période de struggle for life, le sport fait son grand retour avec Véronique et Davina, les adeptes du cocooning reçoivent leur tribu en  jogging en molleton qui sert à tout, confortable et donc disgracieux. Au summum du cocooning ils se déplacent avec sur le dos un non moins inélégant sac-à-dos en nylon noir, si pratique pour trimballer sa maison ;-). Dans le meilleur des cas il est signé Hervé Chapelier.

    Bête à manger du foin, à bailler d’ennui le cocooning est né. C’est l’époque du grand bond en arrière, du repli sur soi. Face à la violence de la crise économique, à laquelle même le communisme ne résistera pas, les valeurs anciennes sont appelées en renfort comme un repère. Rien n’est trop ancien pour se rassurer sur son futur. Le passé rassure, devient la référence. Le mot since s’impose comme certificat d’origine des marques, un label rassurant. Un anxiolytique qui endort durablement la créativité de la mode.

    La vague des Since, Roots, Vraies Valeurs et Cocooning venue d’Amérique du Nord est tellement puissante que l’immense majorité des enseignes Françaises, les nouvelles comme les plus anciennes, enfourchent opportunément le cheval de  retour Tex-mex. Jeune d’à peine 9 ans, Chevignon, marque Française au succès fulgurant destinée à un public jeune et urbain, ne résiste pas à l’appel de la déco mexicaine, pas plus qu’à la tentation de

graver sur ses vitrines “Since 1979”. Aujourd’hui, les mêmes marques utilisent le terme Luxe, vidé de son sens.

Dans ce contexte économique concurrentiel nouveau les Créateurs passent à la trappe pour être remplacés par des Stylistes plus structurés qui gagnent au passage une légitimité Artistique. Le Directeur Artistique, aussi appelé  D.A, est né.

    Ce n’est pas un hasard si le titre de Directeur Artistique provient de l’univers de la publicité dont les campagnes avaient marqué la fin des années 70 et le début des années 80 dédiées à la consommation passionnée des biens et des êtres. La décennie précédente fut également celle de la multiplication des heures passées devant le petit écran du fait des nouvelles chaînes de télévision, des premiers magnétoscopes grand public qui nous faisaient rentrer dans l’ère de la vidéo à la demande, en même temps qu’apparaissaient les premiers jeux informatiques. Face à un public capté, la communication et les média vont dès lors jouer un rôle plus important dans l’identité des marques ainsi que dans la construction des collections.

On se souvient de l’analyse de l’excellent Patrick Le Lay : “à la base, le métier de TF1 c’est d’aider Coca Cola à vendre son produit”.

    Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, tout ce qui nous rappelait ou nous rapprochait de notre passé destructeur était

perçu comme néfaste. Le monde devait aller vers le futur, la nouvelle frontière était l’espace. La conquête des libertés nouvelles et la technologie étaient les garants d’un monde sans guerre, ni maladie, ni famine. Dans un monde résolument tourné vers l’avenir, le passé était un handicap pour les marques. A la fin des années 80, face à la crise, le passé devient une tendance de mode qui va s’installer durablement dans nos garde robes, et un argument  de vente.

    Au début des années 80 la marque Italienne Tod’s, au passé récent (1978), se construit durablement sur les mythes et les valeurs fondatrices de la côte Est Américaine. Mais c’est en revendiquant son histoire qui repose sur la culture Italienne et un savoir-faire artisanal unique que Diego Della Valle, fondateur entreprenant et Directeur Artistique aussi discret qu’omniprésent, que la Maison a pu s’inscrire dans la durée et construire un empire basé sur la qualité de ses produits et la création. Comme son modèle, la maison Hermès, Tod’s deviendra un des principaux Groupes mondiaux de mode, basé sur la qualité et non le Luxe, comme il le revendique.

    A Paris, sous la direction du charismatique Jean-Louis Dumas Hermès, la Maison familiale qui n’a jamais renoncé à ses traditions du cousu-main, à la qualité de ses accessoires et Collections, pas plus qu’à l’accueil délicieusement Français réservé aux clients, comme aux visiteurs, renoue avec les bénéfices records. Les moins de 30 ans désargentés, en

s’appropriant les sacs et vêtements vintage de leurs grands-parents, ont montré à leurs parents le chemin de l’institution de la rue du Faubourg Saint-Honoré.

    C’est dans cette période chaotique, de 1984 à 89, après les métiers du  BTP et de la promotion immobilière, que Bernard Arnault s’appuie sur les banques pour racheter le Groupe Boussac, la Maison Dior et Le Bon Marché. Puis le financier prend rapidement le contrôle du Groupe LVMH à la recherche d’investisseurs. A la même époque, il réalise une OPA sur le mot Luxe qu’il s’approprie pour transformer l’univers de la mode en une industrie ultra-compétitive. En plus des champagnes, le  Groupe possède les Maisons Dior, Louis Vuitton, Givenchy, Céline, Berluti, Kenzo, Loewe, Marc Jacobs, Emilio Pucci, Fendi, DKNY… Les enseignes de distribution Sephora, La Samaritaine. A la tête de ses Maisons, dont il conservera l’autonomie, il va placer des Directeurs Artistiques, souvent en perdition, qu’il va soigneusement sélectionner et valoriser. LVMH se développe en rachetant des marques concurrentes ou émergentes. Bernard Arnault les repère puis les manage comme Monsieur Boussac ses écuries de course. Cet industriel visionnaire, homme d’affaires redoutable, est probablement le meilleur Directeur Artistique de son Groupe.

    Dès  1990 il fera de l’art le pivot de la communication de son Groupe en rachetant le commissaire-priseur Tajan, et la Maison d’enchères Philips. Bientôt la Fondation Louis Vuitton, réalisée par Frank Gehry, verra le jour dans le Bois de Boulogne.

Quel chemin parcouru depuis la petite Galerie de Monsieur Christian Dior rue La Béotie ;-)

    En 1986, L’Américain Ralph Lauren profite du contexte culturel et économique favorable aux USA pour tenter un pari risqué et extrêmement coûteux, cent fois reporté par toutes les grandes marques d’outre-Atlantique : s’installer à Paris. A la fois Directeur Artistique et chef d’entreprise, Monsieur Lauren incarne avec ses collections pléthoriques et sa famille, tous les mythes et les vertus de l’Amérique travailleuse et victorieuse. Il fait rêver la France. Ralph Lauren s’installe en grand, et avec succès, place de la Madeleine dans ce qui est à cette époque l’immeuble au loyer le plus élevé de France.

   

    Le public, les jeunes comme leurs aînés sont alors tournés vers les armoires de leurs aînés, parents et grands-parents, et inventent le vintage. Ils vont ainsi plébisciter la renaissance des marques centenaires. En s’éloignant d’un renouveau de la création dans la mode ces jeunes gens inquiets s’habillent en morts…

    Heureuses du nouvel engouement d’une clientèle renouvelée,

les Maisons de Luxe profitent de l’aubaine pour apprendre deux mots qu’elles trouvaient vulgaires il n’y a pas si longtemps : le marketing et la publicité.

    90’s Au bord du gouffre depuis le Black Monday de 1987, le monde a peur, la mode bafouille et égrène son chapelet de décennies passées. Fasciné par le minimalisme et le marketing Américain et Italien le petit monde de la mode et ses festivités ont fui Paris qui a sombré dans la dépression pour migrer vers New York et Milan.

    “La star est une marchandise totale : pas un centimètre de son corps, pas une fibre de son âme, pas un souvenir de sa vie qui ne puisse être jeté sur le marché”. Edgar Morin “les Stars” (Seuil)

    C’est dans le contexte créatif absent, qui précède le redémarrage de l’économie mondiale tirée par la bourse et l’immobilier, qui mènera à la crise des subprimes en 2008-09, que en 1990 à Milan chez Gucci au bord de la fermeture, un jeune texan,  dernier occupant du studio de création de la grande Maison désertée, sur les bases du cocooning et du retour aux fondamentaux des marques, inspiré par le succès de la Maison naissante Tod’s et le nouveau rôle des accessoires dans l’économie de la  mode,  réactualise les mocassins de la marque au mors de cheval. Avec Tom Ford, l’Américain décomplexé qui fréquente avec autant d’aisance les rappeurs New Yorkais que la bonne société Milanaise, de show-off  dans les années 70 la mode devient bling-bling. Comme il le fait pour ses Collections le talentueux Monsieur Ford se met en scène. Car le génie de Tom réside dans sa vitalité hors du commun. Ami de Carine Roitfeld et du photographe Mario Testino, ils  sont les inventeurs du Porno Chic et les promoteurs d’une nouvelle sexualité de la femme multiple et libérée d’affecte, inspirée des gays. Les clubs échangistes deviennent des lieux à la mode où il est de bon ton d’aller boire un verre. On y croise le Tout-Paris de la fashion et de la politique.

    Après les acteurs de cinéma, les mannequins, le Directeur Artistique accède au statut de Directeur Artistique star.

Il expose sa vie et devient partie intégrante de la marque.

    De 91 à 99, le forestier François Pinault, lui aussi professionnel de la construction, s’intéresse dans les années 70 à la finance et au rachat d’entreprises, avant d’investir dans  la distribution en rachetant Conforama à Bernard Arnault en 91. Puis il acquiert La Redoute et Le Printemps en 92.  A la tête de son Groupe PPR, contrôlé par sa Holding Artémis, il achètera la Fnac en 94 puis Gucci et entre en concurrence avec Bernard Arnault dans le domaine du luxe. Il se sépare progressivement de son activité de négoce pour constituer l’autre Groupe Français du luxe avec Gucci, Yves Saint Laurent, Sergio Rossi, Balenciaga, Boucheron, Stella McCartney, Alexander McQueen, Bottega Veneta … En 2007, François-Henri Pinault, son fils et successeur désigné, rachète la marque de sport lifestyle Puma. PPR s’appuie sur un réseau de distribution spécialisé, ainsi que sur le net qu’il a su investir dès 95. Comme son concurrent il est propriétaire de grands titres de presse.

    Bien que François Pinault, collectionneur passionné d’art depuis les années 80, soit propriétaire de la Maison de vente aux enchères Christie’s et du Palais Grassi à Venise où il expose une partie de ses collections d’œuvres contemporaines,

on ne peut pas parler vision artistique dans la communication du Groupe.

    La force de PPR se trouve dans les racines bretonnes de la famille Pinault, dans ses valeurs terriennes que le Groupe a su mettre en avant en produisant le film environnemental HOME de Yann Arthus-Bertrand. Parce que le Luxe nous parle aussi de transmission.

    Le retour de la France au centre du grand jeu de la Mode à la fin des années 90 est le résultat de la conjonction du talent et de la volonté d’une poignée d’hommes et de femmes qui ont su tirer partie de l’histoire de la France et de Paris dans tous les domaines créatifs mais également politiques. Il est le fruit du travail de capitaines d’industrie visionnaires (Bernard Arnault, Jean-Louis Dumas Hermès, François Pinault) qui ont su associer la créativité de la mode et de ses métiers à la maîtrise des instruments de la finance et du capitalisme. Grâce aussi à des Créateurs venus du monde entier pour enrichir notre patrimoine, fascinés par la France et son histoire. Grâce à la ténacité de quelques artisans qui, comme le brodeur François Lesage, ont su conserver en France des ateliers de production et perpétuer des métiers uniques. Grâce encore et encore aux fondateurs des magasins L’Eclaireur, Maria Luisa rejoints en 97 par Colette, passerelles indispensables qui ont su transmettre au public Français et international leur goût pour la mode et la création. Le tout orchestré avec patience depuis 1990 par La Fédération Française de la Couture  à l’initiative de Didier Grumbach,

un homme discret, déterminé, amoureux de la création et jaloux de son indépendance. Monsieur Grumbach est issu d’une famille ancienne d’industriels Français du textile qui a travaillé avec les plus grands noms de la mode Française. Que ce soit au sein de l’entreprise familiale, dans ses différentes entreprises en France et à l’étranger, chez Thierry Mugler comme à l’Institut Français de la Mode,  son action, loin d’une attitude passéiste, a toujours été guidée par la promotion de la création Française contemporaine et son avenir.

    En 92 Monsieur Grumbach ranime la Haute Couture, le dernier fleuron de la mode Française, qui n’en finissait pas de mourir depuis la fin des années 60. Il crée l’appellation membre invité qui permettra à Thierry Mugler de défiler pendant la Haute Couture et de réveiller le très élitiste mais désespérément vide calendrier de la Fédération de la Couture, aussi désert que l’avenue Montaigne à cette époque. C’est en tirant délicatement et patiemment sur ce fil fragile que Didier Grumbach remettra la France au centre de l’intérêt de tous les acteurs de cette industrie tellement particulière. La presse et les acheteurs internationaux, lassés par le marketing et le minimalisme Américain et Italien, reviennent à Paris qui retrouve sa place de capitale mondiale de la mode féminine. La Haute Couture, avec ses défilés Parisiens de

janvier et juillet, sera l’écrin qui donnera un rayonnement mondial à la mode Française ainsi qu’aux Groupes de Luxe LVMH  et PPR.

    L’industrie des “apparences”, mode, design et cosmétiques, représente une part très importante dans l’économie Française  et du fait de sa spécificité artistique et culturelle elle apporte une contribution formidable à l’image de la France à l’étranger. Les représentants de ces Groupes de Luxe sont les premières et sixièmes fortunes Françaises, Madame Bettencourt est la quatrième. La famille Hermès est classée troisième  et les Wertheimer, propriétaire de Chanel, huitième. Thierry Gillier fondateur de Zadig & Voltaire vient de rentrer dans le cercle des cent premières fortunes de France.

    Il est étonnant que le Ministère de la Culture et le Quai d’Orsay n’aient jamais songé à nommer Ambassadeurs Itinérants ceux qui incarnent le mieux l’esprit Français d’aujourd’hui et le rôle de leurs industries dans l’économie Française : Azzedine Alaïa, Inès de La Fressange et Philippe Starck.

    Comme le reste de l’économie, la mode s’est transformée en une industrie capitalistique et financière. Les Groupes de Luxe Français et Italiens sont dès lors en ordre de bataille pour s’emparer du marché de la mode devenu mondial.

    2000 / 2010 Ce sont les années bling. Dans une économie qui tourne à nouveau à plein régime, les D.A. des marques de mode deviennent des stars absolues et  recrutent leurs alter-egos du

cinéma pour la communication de leurs marques, et la leur. L’industrie de la mode devient l’actrice principale du Festival de Cannes. Les Maisons de Haute Couture passent des chuchotements de ses salons feutrés, au scandale qui devient l’air du temps, et le nom d’un parfum de la plus discrète d’entre elles, la Maison Lanvin. Puis les stars du grand écran deviendront à leur tour des Directeurs Artistiques : Adjani chez Lancel, Kate Moss chez Longchamp, Amy Winehouse avec Fred Perry, David Beckham chez H&M. Victoria Beckham lance sa propre marque ainsi que Kanye West qui défile à Paris comme Zahia, “Nana” des  années 2000, adoubée par Karl.

    Avec l’installation de Louis Vuitton face au Fouquet’s, à la place d’une banque, sur le trottoir de gauche de la célèbre avenue dédiée aux femmes et au luxe les Champs-Elysées désertés depuis la fin des années 80, redeviennent à l’occasion du 150ème  anniversaire de la marque monogrammé “la plus belle avenue du monde”. Le trottoir de droite restant le territoire de la fast fashion, des fast foods et de la sortie du RER.

    Tous les acteurs de la mode, et des industries en vogue, deviennent des D.A. et pour les meilleurs d’entre eux des stars : Anna Wintour patronne du Vogue US, Carine Roitfeld ex-RC du Vogue France qu’elle a relancé devient elle-même support. Mais aussi le Chef Alain Ducasse inventeur de la Haute Cuisine qui dirige un empire de 20 établissements, il est le modèle professionnel et économique des Chefs de la nouvelle génération. Le Musée du Louvre, inventeur de la Haute Culture,

devient le dieu vivant des cadres parfumés par Hugo Boss. Mark Zuckerberg fondateur de Facebook  icône des jeunes qui rêvent de devenir millionnaires avant d’avoir trente ans, sans travailler en levant de l’argent auprès de fonds d’investissements, business plan à l’appui. On se retrouve projeté dans les années 80 d’avant la crise du Black Monday, à l’époque de “l’Avion”. Nicolas Sarkozy omni Président, showman hors du commun, qui comme Tom Ford ne parvient pas à renier son goût pour les trophées et le bling. Pour rester jeune et performant le plus longtemps possible, la génération bling mange bio, fait très attention à son  apparence physique, vit dans les palaces d’Alexandre Allard et se déplace en jet et en limousine.

    A cette époque, les mathématiques quantiques, nées au début du siècle dernier, deviennent la pensée dominante sur laquelle repose le discours des marques et des politiques.

    C’est alors qu’apparaissent les marques émergentes. Avec deux collections par an elles ont comme modèle économique  les Maisons de Luxe : production de leurs livraisons dans des pays où la main d’œuvre et les textiles sont le moins cher tout en restant si possible qualitatif, ouverture de magasins en propre où elles réalisent des marges à deux chiffres pour investir dans leur communication, élargissement des propositions de leurs collections multiplication des points de vente. Elles ont pour chef de file  Zadig & Voltaire à qui Sandro, Maje, The Kooples, Vanessa Bruno, Isabel Marant, Jérôme Dreyfuss emboiteront le pas.

    Par leur style et leur communication elles ont le talent de savoir créer une relation affective forte avec leurs clients. Elles se réclament elles aussi de la famille du Luxe, mais abordable.

    En Amérique les marques émergentes contemporary comme Alexander Wang, Haider Ackermann,  Marc Jacobs, Phillip Lim font une livraison tous les mois dans leurs points de vente en plus de la collection de défilé.

    Sans oublier les deux grands acteurs de la fast fashion Zara et H&M qui doivent leur réussite à un savant mélange de techniques de mass market adossées à une logistique millimétrée et une communication inspirée de celle du luxe. Leurs bureaux de styles sont installés dans le monde entier pour mieux anticiper la demande de leurs marchés. Ils  réassortissent une partie de leurs livraisons en magasins une à  deux fois par semaine et fonctionnent avec les mêmes codes que les Maisons de Luxe : Collections fleuves le plus souvent largement inspirées de celles qui viennent de défiler sur les podiums, Collections capsules avec des célébrités ou des D.A. de référence (Sonia Rykiel, Karl Lagerfeld, David Beckham) et des campagnes de publicité mondiales avec des top models et des people. Ils partagent un nombre important de clients et clientes avec les Groupes de Luxe et les marques émergentes.

    Cette concurrence de propositions amène les grandes maisons à investir dans la création et à produire 6 à 8 Collections par an :

La collection du défilé, une pré-collection ou Collection croisière livrée en entrée de saison avant la grande Collection, plus une ou deux collections intermédiaires livrées dans les 3 et 4 mois qui suivent, avant les soldes. Plus la Couture pour celles qui en font. Sans compter leurs lignes Hommes quand c’est le cas. Ainsi que  les accessoires et la ligne Enfant qui prend de plus en plus de place dans la stratégie à long terme des marques. Pour satisfaire et surprendre ses clientes la Maison Chanel réalise 12  Collections par an.

    Aujourd’hui, toutes ces Maisons s’adressent à la nouvelle génération qui connaît leurs noms et leur mode de communication depuis leur premier biberon. C’est par leurs sosies, les fils de et les It girls dont ils imitent les comportements sur les réseaux sociaux que les grands Groupes de Luxe s’adressent à la nouvelle génération des moins de 25 ans : les Baby.

    Ils arrivent sur le marché du travail et prendront bientôt le pouvoir en même temps que leur pouvoir d’achat se développera. Ils ont une très grande influence sur leurs parents. Ils sont les clients de demain de l’industrie de la mode qui sait qu’il ne va pas

être facile de les garder captifs. Les marques sont des dieux aux pieds fragiles.

    Les Baby ont appris à lire et à écrire sur des ordinateurs et à s’informer sur le netFacebook et les réseaux sociaux font le buzz, la rumeur d’autrefois. Ils vont vivre dans un monde nouveau où internet, l'Asie, et la conquête des libertés individuelles menées par les femmes joueront un rôle déterminant. Ils n’ont pas peur de l’avenir qui leur appartient et ils ne vont pas accepter longtemps les codes proposés par les marques de luxe depuis leur naissance. La fin du vintage et de ses produits iconiques est avancée. Un discours nouveau est en train de naître, des nouvelles marques aussi. Ces marques naissantes, les Babybrand, sont produites localement pour un marché local éco-responsable. Réalistes et promues par internet elles sont également distribuées mondialement par les coursiers des airs, DHL en tête.

Chapitre A comme Alexandre Allard